La côte d’Albâtre. Peut être savez-vous pointer du doigt Le Havre sur une carte ? Les falaises d’Etretat vous connaissez, mais vous êtes-vous aventuré au delà de l’église Notre-Dame-de-la-Garde ? A deux heures en train de Paris voici une randonnée sur un week-end qui promet des forêts denses, quelques collines fleuries, du vent marin et un chemin le long de falaises de craie. Chemin balisé, puisqu’il s’agit d’un tronçon du GR21.
Le départ s’effectue depuis la gare du Havre (2h12 de trajet depuis Paris) et le retour se fait également en train depuis la gare de Fécamp (2h52 de trajet moyen). Deux jours de marche sur 68km et 1400m de dénivelé, entre toits de chaume et bunkers allemands, plages de galets et paysages champêtres.
Nous sommes dans le département de la Seine-Maritime qui reprend les contours du pays de Caux où les Celtes, les Romains, les Francs, les Vikings se sont succédés tout comme les conflits (guerre de Cent Ans, débarquement allié).
Arrivée matinale au Havre, depuis la gare la route est droite et la pente est faible pour rejoindre la plage encore endormie en ce mois d’avril. Les premiers promeneurs errent, les mouettes s’égosillent et la mer n’est pas encore pressée de monter jusqu’aux galets. Je longe la plage d’un pas éveillé et laisse les bruits réchauffer le corps encore rêveur. Le chemin s’élève ensuite doucement pour rejoindre le fort de Saint-Adresse et les jardins suspendus à l’architecture militaire héritée de Vauban. C’est là que je retrouve les premières marques de peinture du GR21. Je profite de la vue pour prendre le petit déjeuner. Mer, église Saint-Joseph, beffroi de l’hôtel de ville… le centre a été entièrement reconstruit après guerre.
Le chemin continue sous la forme d’une rue surplombant d’une cinquantaine de mètres le centre et la mer, encore un peu là, au loin dans l’air sec et frais. Je suis en ville, entre les maisons, le long d’un cimetière où une plaque commémore les combattants des deux guerres puis le chemin rejoint la forêt de Montgeon. La transition se fait doucement, d’une route à un chemin de gravier puis je m’enfonce dans une forêt plus naturelle, un sentier étroit moins rectiligne, les branches s’abaissent et les oiseaux avertissent de mon passage. Puis traverser une route départementale et rejoindre le centre de Montivilliers, son abbaye et sa fontaine sur la place du village qui marque la moitié de ma journée. Je me repose quelques minutes à l’ombre des platanes, je fais le plein d’eau et de maisons en pierre. Le chemin prend un peu de hauteur, évite les routes, serpente entre les villages aux longs clochers lointains, longe les ruisseaux et passe d’une dépression à une autre à travers des champs en fleurs où parfois quelques vaches lèvent leur museau. De petits hameaux aux toits de chaume flottent dans le temps, perdus entre forêt et nuages. Marcher pour traverser les époques, observer les respirations du monde. Après Gonneville-la-Mallet je retrouve quelques arbres qui m’abriteront du vent pour la nuit. La tente est montée en lisière d’un champ. Les oiseaux jettent leurs dernières notes et le soleil se couche entre les silhouettes noires des branches. Le règne de la nuit commence.
Le soleil de ce deuxième jour finit par me réveiller. La rosée refroidit les mains pliant la tente et amplifie le contraste d’une trace rectangulaire d’herbe courbée. Témoignage éphémère d’une nuit à coucher dehors. Je retrouve en contrebas le chemin laissé la veille, les pissenlits m’attendent et je me dirige vers la côte à quelques kilomètres. Quelques murets de pierre, le village du Tilleul et j’aperçois déjà l’horizon bleu et la promesse des falaises que je découvre pour la première fois. Le sentier arrive perpendiculairement à la côte, laissant le phare d’Antifer sur la gauche à un bon kilomètre. La solitude des nombreuses heures précédentes se dissipe dans le flot des promeneurs anonymes. La vue est magnifique sur les falaises d’Etretat un peu plus au Nord en contrebas. Je les rejoins par la suite avant de descendre jusqu’à la ville. Le chemin plutôt plat jusqu’à présent va maintenant livrer ses meilleures « pentes ». En longeant la côte jusqu’à Fécamp, il devient tributaire des cours d’eau qui viennent perturber la blancheur linéaire des falaises et quelques gouttes de sueur sont nécessaires pour gravir la cinquantaine de mètres de dénivelé, plusieurs fois. Le regard se perd entre les anfractuosités de la falaise qui laissent apercevoir la mer en contrebas, dont les assauts se brisent contre la craie. C’est cette dilution de la roche friable dans le bleu marine qui donne son nom à la côte. Les reflets laiteux donnent à l’eau une couleur d’albâtre, témoin du pouvoir de l’érosion. Le chemin traverse un regroupement de maisons à Vaucottes puis Yport où quelques barques sommeillent sur les galets. Les falaises me suivent depuis ce matin, lieu de villégiatures des impressionnistes (Monet, Renoir), elles se révèlent en effet polychromes dans la danse du soleil. Le sentier continue gentiment le long d’une route de campagne, quelques maisons isolées semblent tenir tête au vent, je traverse aussi quelques zones d’anciens bunkers allemands puis j’arrive déjà à Fécamp, blottie dans le sein des falaises. Mes derniers pas me mèneront à la gare puis direction Paris.